La Fraktur est une écriture dérivée de la gothique. Son nom, Fraktur, vient de son aspect saccadé, fracturé. Ses lettres rapprochées lui donnent un aspect sombre et compact. Parmi les différentes écritures faisant partie de la famille gothique, la Fraktur est une de celle à l’aspect le plus rond, dénotant de l’influence de la gothique bâtarde. Comment cette écriture a-t-elle évolué dans sa forme ? Quelle est son histoire ? Dans quels types de textes ou d’images l’emploie-t-on actuellement ? Et pourquoi est-elle entourée d’une aura négative ? Laissez-moi vous parler de cette écriture marquée par l’Histoire…
Aspect visuel de l’alphabet Fraktur : une écriture plus libre qu’il n’y paraît
Une des premières particularités de cette écriture est le losange : une figure à quatre côtés qui se retrouve dans le haut (l’attaque) et le bas (terminaison) de la lettre (exemple ci-contre).
Dans la Fraktur, on différencie bien les majuscules et les minuscules. Ainsi, les majuscules sont un mélange de droit et d’arrondi. C’est une écriture qui demande beaucoup de technique, mais permet, paradoxalement, une large souplesse par sa fluctuation entre traits et courbes.
Les minuscules offrent encore plus de possibilités par leur alternance, comme pour les majuscules, mais aussi par la facilité à moderniser ces lettres, les rendre plus fantaisistes, tout en gardant la structure caractéristique de la Gothique.
Un alphabet influencé par la rondeur de la Caroline et l’aspect resserré de la Textura
Si l’écriture gothique naît vers la fin du Moyen-Âge, elle est le résultat d’une lente progression avec pour base la Caroline. Précisément, on retrouve un côté arrondi dans la Fraktur, témoignant de ses origines. Par ailleurs, la Fraktur est elle-même une évolution de la Textura (famille du style gothique). Les lettres se sont ainsi peu à peu resserrées pour donner ce style sombre et chargé. Nous pouvons aisément supposer qu’un besoin de gagner de la place est à l’origine de l’émergence de ce style.
Une apparition à la Renaissance et un développement dans toute l’Europe
La Fraktur apparaît au début du XVIe siècle. Son nom vient du latin Fractura, qui signifie brisure. Elle se fait vite une place de choix en Europe et devient une écriture livresque : elle sert ainsi de standard pour la création d’autres caractères typographiques. Ce style démontre d’une influence Germanique et se diffuse sans tarder en Suisse et en Autriche.
Comme toutes les écritures, la Fraktur évolue constamment, pour s’adapter aux bouleversements historiques et aux besoins toujours changeants de l’Homme. Ainsi, durant le XVII siècle, elle est imposée dans les chancelleries pour devenir l’écriture officielle de l’Allemagne, avec pour nom, Kanzlei. Toujours pour satisfaire aux exigences de nos nouveaux besoins, cette écriture est quelque peu modifiée et donne naissance à la Kurrentschrift, version manuscrite officielle de la Fraktur.
Une utilisation parfois controversée
Aujourd’hui, la Fraktur et plus généralement la Gothique, trouve toujours sa place en Europe, surtout dans les pays germaniques. On les retrouve sur certaines publicités, plaques de rue, affiches, emballages, etc. La Fraktur évoque quelque chose d’ancien, le Moyen-Âge, la tradition et sert ainsi à la décoration avant tout. Cependant, et ce en raison de son histoire complexe au travers des siècles, la Fraktur reste difficilement lisible pour une grande partie du monde.
Certaines associations « pro-Fraktur » (Bund für par exemple) militent pour un retour à l’enseignement de celle-ci, en vain. Peut-être car elle est encore le reflet du nazisme, un souvenir encore trop frais pour les Européens. En effet, cette image négative ne lui est pas associée outre-Atlantique, où elle continue d’être enseignée et pratiquée par quelques communautés amish et mennonites d’Amérique centrale.
La Fraktur en calligraphie, au cœur d’un débat idéologique
On ne peut pas aborder la Fraktur sans parler du conflit qui l’oppose à l’Antiqua – terme générique regroupant les écritures latines. Les adeptes de l’Antiqua prônent un retour aux « sources » antiques avec des lettres plus fines, plus aérées et plus arrondies. Ce conflit, étalé sur plusieurs siècles, ne prend fin que dans la seconde moitié du XXe siècle. Il se tient particulièrement en Allemagne où l’opposition entre les adeptes des deux types d’écritures devient idéologique.
Quand le choix d’un alphabet devient politique
Ce débat Fraktur-Antiqua est en effet au cœur de la politique allemande. Il ne s’agit plus seulement d’un problème de typographie, mais bien d’une réflexion sur l’identité culturelle, opposant une identité dite « Germanique » à une identité « Latine ». Cette querelle cristallise les tensions politiques et accompagne des événements majeurs de l’Histoire.
Au début du 19e siècle, plus précisément en l’an 1806, Napoléon met fin au Saint-Empire romain germanique. Le conflit Fraktur-Antiqua prend alors un peu plus d’ampleur et devient une quête d’identité pour les Allemands qui sont en recherche de valeurs communes. C’est à cette occasion que la littérature allemande nous offre une de ses œuvres les plus emblématiques : la collection de contes des frères Grimm. La Fraktur devient une particularité allemande pendant que l’Antiqua représente tout ce qui n’est pas Allemand.
La trace écrite, cristallisation des tensions du XXe siècle
Dans les premières années du XXe siècle, le débat s’intensifie. Les adeptes de la Fraktur prônent l’utilisation exclusive de celle-ci en raison, selon eux, d’une meilleure lisibilité et d’une identité nationaliste (l’écriture Fraktur conviendrait mieux à la langue allemande). L’idée que l’Antiqua faciliterait l’insertion de mots étrangers (latins) dans leur langue fait rapidement son chemin, accentuant les dissensions. Le « clan Antiqua » va même jusqu’à demander le remplacement de la Fraktur, écriture officielle de l’Allemagne depuis l’Empire allemand, par l’Antiqua, sans toutefois obtenir gain de cause.
La république de Weimar naît en 1918, c’est par cette proclamation que l’Antiqua sera légitimée comme écriture officielle de l’Allemagne. La Fraktur reste néanmoins dans les habitudes du pays, par le biais de la convention Zweischriftigkeit.
L’art de la belle écriture au service de la propagande nazie
Après la chute de la république de Weimar, les nazis, avec pour chef de parti Adolf Hitler, prennent le pouvoir. Ainsi, dans un besoin de satisfaire leur idéologie raciale, ils commencent par encenser l’écriture gothique, faisant de celle-ci un des symboles de la culture germanique. La presse est décriée pour son utilisation de l’Antiqua, symbole de la culture romaine et latine, associée donc à des « lettres juives ».
Cependant, dans un souci d’étendre son influence, Hitler décide de remplacer la Fraktur par une écriture plus latine, plus lisible pour le reste de l’Europe. Hitler est certain qu’en diffusant au plus grand nombre sa propagande, grâce à l’emploi de typographies plus « classiques » que la gothique, l’Allemagne exercera sa suprématie sur le continent. En 1941, l’Allemagne adopte l’Antiqua pour les documents officiels, de propagande et administratifs ainsi que pour l’enseignement scolaire.
Après l’effondrement du régime nazi, l’écriture latine reste l’écriture « officielle » de l’Allemagne, laissant parfois place à l’enseignement optionnel du style gothique.
L’Art en général – et la calligraphie n’y échappe pas – est indissociable des remous politiques et idéologiques de son époque. Ainsi, un alphabet imaginé des siècles plus tôt pour des raisons purement techniques, à savoir gagner de la place sur les pages, devient le symbole d’un conflit identitaire. Cela n’enlève rien au plaisir de découvrir la Fraktur en calligraphie et d’apprendre à la tracer. Peut-être même cela la ramène-t-il à sa vocation première, celle d’une nouvelle esthétique de l’écriture…
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