Que vous évoque le mot « calligraphie » ? Vous imaginez un moine copiste, assis au fond d’un scriptorium, soufflant sur ses doigts glacés ? Ou bien un maître zen retravaillant sans relâche le même idéogramme, effleurant le papier de riz du bout de son pinceau noir ? Peut-être est-ce la calligraphie arabe qui vous vient immédiatement en tête ? Mais surtout, vous ne vous visualisez pas une plume ou un pinceau à la main. Et pourtant !
Pratiquer la « belle écriture » — le mot est issu du grec « kallos », beauté, et « graphia », l’écriture — est à la portée de tous. Enfants ou adultes, chacun peut, en quelques heures d’entraînement, parvenir à des résultats. Pas besoin de beaucoup de matériel : de nombreux outils sont désormais à notre disposition et remplacent avantageusement la plume et l’encre, pour faciliter l’approche de cette activité.
Mais pourquoi apprendre la calligraphie ? Les bénéfices de cette discipline sont multiples et variés. Qu’on aime la rigueur et la technique, ou bien qu’on ait une âme d’artiste tenté par des expériences nouvelles, c’est un art qui mérite d’être essayé !
Écrire à la main : des bienfaits scientifiquement prouvés
Dans notre monde numérique, écrire à la main semble un loisir désuet, une pratique passée de mode. Avec la généralisation des ordinateurs dans les amphithéâtres des universités, de nombreuses études se sont penchées sur les différences entre prise de notes manuelles et prise de notes au clavier. Si les premières observations1 tendaient à confirmer les avantages de l’écriture manuscrite, les suivantes ont nuancé le propos. Toutefois, chez les enfants, au moment de l’apprentissage de la lecture et de l’écriture, le lien entre le geste et la mémorisation est avéré.
Pour comprendre les mécanismes qui se jouent dans le cerveau, faisons un petit détour par une forme d’écriture qui nous est moins familière : les idéogrammes. Les kanji japonais sont nombreux et complexes. Ils doivent être tracés dans un ordre précis et leur écriture est extrêmement codifiée. Il est parfois difficile, même à un adulte, de se rappeler un caractère peu fréquent ou particulièrement compliqué. Il fait alors quelque chose sans presque en avoir conscience : il esquisse l’idéogramme en l’air avec son doigt. Pourquoi ce réflexe ?
Il faut savoir que nous possédons une mémoire dite « sensorimotrice ». Il s’agit d’une mémoire du mouvement et des sensations associées à ce dernier. Certaines zones du cerveau sont particulièrement concernées : le cortex moteur et le cortex somato-sensoriel.
Ces zones sont activées quand on écrit à la main et non sur un clavier.
Qu’est-ce qui explique cette différence ? Pour le savoir, les chercheurs ont observé le cerveau de volontaires, grâce à des IRMf 2. Ils en ont tiré les conclusions suivantes :
les lettres sont perçues non seulement par la vue, mais aussi par le toucher : les mouvements que l’on exécute en écrivant sont codés dans le cerveau et se réactivent quand on lit
à chaque lettre correspond un geste de tracé qui lui est propre, ce qui rend chaque « codage » unique
lorsque les enfants apprennent à reconnaître les caractères et à les produire à l’aide d’un clavier, ils n’associent pas le geste et la vision, puisque le geste est le même quelle que soit la lettre produite ; la mémorisation est alors moins bonne et l’identification moins précise3.
Ainsi, écrire à la main fait de nous de meilleurs lecteurs, active nos connexions neuronales et offre à notre cerveau des possibilités d’apprentissage et de mémorisation spécifiques.
Stimuler sa curiosité avec la calligraphie : à la découverte d’un art en constante évolution
J’entends vos objections. Vous me dites :
— C’est compris, écrire à la main, c’est bon pour le cerveau. Mais de là à pratiquer la calligraphie, c’est une autre histoire ! Tracer des lettres toute la journée, honnêtement, c’est un peu austère, non ?
Détrompez-vous !
L’art de la diversité
Tout d’abord, la calligraphie est une activité dans laquelle on ne risque pas de s’ennuyer.
Quel plaisir de découvrir tous les outils disponibles ! Des plus rustiques, comme le calame, cet instrument taillé dans un roseau ou un bambou, aux plus étranges comme le tire-ligne ou le cola-pen, en passant bien sûr par les pinceaux et les plumes de toutes formes et de toutes tailles. Des feutres et stylos facilitent l’apprentissage et permettent aux débutants de ne pas être bloqués par la manipulation parfois délicate de certains outils traditionnels.
Un art ancré dans l’Histoire
Bien sûr, les différents alphabets et leurs transformations à travers le temps offrent aussi une grande variété. L’évolution de l’écriture manuscrite accompagne l’Histoire : s’y intéresser propose une autre approche de celle-ci, qui passionnera les plus curieux d’entre vous4. Onciale, gothique, anglaise, chaque alphabet a sa raison d’être : être plus lisible, être plus rapide, représenter la puissance d’une nation, etc. Connaître les causes de son apparition à telle ou telle époque permet d’appréhender encore mieux les lettres et leur tracé.
Des applications pratiques
Quant aux supports, comme les outils, ils sont innombrables : on peut calligraphier avec tout et sur tout. Une simple planche de bois est un médium facile à prendre en main. Des galets ou des objets peuvent être ornés de belles lettres.
Contrairement à d’autres formes d’art, la calligraphie a ceci de particulier qu’elle peut s’intégrer sans effort à notre vie quotidienne. On peut ainsi agrémenter des boîtes de rangement ou une enveloppe qu’on poste. On customise un sac de classe ou une trousse, on écrit une jolie carte pour un anniversaire, on crée des porte-noms pour une fête de famille, on décore son agenda — la pratique du lettrage s’est d’ailleurs considérablement développée ces dernières années et on trouve des livres et des tutoriels qui sont une très bonne porte d’entrée dans cette pratique.
Explorer, découvrir, créer : l’écriture libère l’artiste en vous
Explorer toutes les perspectives de création ne fait pas de nous des artistes, me direz-vous.
Certes, l’entraînement et la méthode sont nécessaires, et procurent une autre forme de plaisir, nous le verrons. Mais le lâcher-prise qui déclenche la créativité est tout à fait possible sans maîtriser la technique à la perfection. Un simple alphabet en lettres bâtons, du collage, des couleurs qui nous parlent et expriment notre émotion du moment, et des essais de mise en page : voilà les ingrédients suffisants pour une réalisation unique dont vous pourrez être fiers.
Les calligraphes professionnels proposent en général des stages pour un voyage artistique en leur compagnie. C’est l’occasion, durant une journée ou deux, de faire sauter les verrous, de débloquer votre imagination !
Le processus créatif est avant tout un mécanisme de recherche, d’expérimentation. Étroitement liée aux mots, la calligraphie suggère ce point de départ : un terme qui résonne en vous, une citation, un poème… et, à partir de là, se laisser porter vers une composition graphique qui ne ressemble qu’à vous. Cela peut être aussi une simple lettre : initiale de l’être aimé, majuscules entrelacées pour symboliser une relation, capitale dont l’aspect vous inspire… Amusez-vous avec les traits, les couleurs, les formes, faites des essais de mise en page, associez des éléments incongrus : tout est bon pour oublier la notion d’erreur et profiter du moment avec jubilation.
Ainsi, au fil du temps et des expériences, l’estime de soi se renforce. Quoi de plus gratifiant, en effet, que d’être le créateur d’une œuvre d’art ? Et si vous êtes surpris par les réactions de votre entourage qui vous complimente, posez vous la question : quand, dans notre existence trépidante, prenons-nous le temps de laisser jaillir cette créativité qui est pourtant nichée en chacun de nous ? C’est si rare qu’il n’est pas étonnant de déclencher l’admiration et, qui sait, un peu d’envie…
Apprendre la calligraphie : un art de vivre
Calligraphier, c’est respirer !
Les calligraphes5 doivent avoir le geste sûr. Une main qui tremble et c’est le dégât assuré sur la feuille : un gros pâté d’encre, un tracé qui part en biais…
Pour stabiliser sa main, tout le corps est mobilisé. Suffisamment gainé pour ne pas déclencher de douleurs, il doit être également détendu. Les épaules se relâchent pour que le bras trouve sa mobilité, les doigts ne se crispent pas, la tenue de l’outil se fait légère… comme une plume !
Le scribe lutte contre la gravité qui entraîne inexorablement, au bout de quelques minutes, la nuque vers le sol. Le dos qui se courbe doit se redresser à intervalles réguliers. L’art de la calligraphie se pratique en pleine conscience : conscience de son corps et de l’espace qui l’entoure. Car oui, l’environnement est important : si vous ne me croyez pas, essayez de faire tenir un pot d’encre sur une surface encombrée ou instable, ou de tracer un trait net sur une table bancale !
La respiration est la clef de voûte de cet ensemble : c’est grâce à elle que les lettres se dessinent de plus en plus précisément, que la bonne posture devient un réflexe, que la sérénité s’installe.
En calligraphie, on apprend donc à accompagner son mouvement de l’inspiration et de l’expiration et on se reconnecte à son corps.
La calligraphie ou l’éloge de la lenteur
Pas de calligraphie dans la précipitation. Enfin, vous pouvez toujours essayer, mais en général, le résultat obtenu n’est pas très satisfaisant.
Le geste d’écriture demande de la patience, du calme. Les ateliers avec les enfants en sont un bon exemple : pour faire des progrès et aboutir à un résultat gratifiant, ceux à qui on propose cette activité comprennent rapidement qu’ils ne peuvent la mener à bien dans l’agitation et le bruit. Petit à petit, ils s’apaisent, se recentrent sur leur travail sans se préoccuper de ce que font leurs camarades.
La pratique régulière de ce loisir augmente de manière évidente les capacités de concentration et d’attention.
Elle offre surtout, dans notre monde qui va si vite, un moment en suspens, où on apprend non seulement une technique, mais également la lenteur qui fait tant de bien. Lent est le geste par lequel on trempe la plume dans l’encrier, celui qui mène de l’encrier au papier. Méticuleux, celui de poser la plume selon un angle précis. Bien dosée, la pression qui produit les pleins et les déliés. À chaque geste son rythme : posé, sans précipitation. Le stress se dissipe, la respiration se déploie, la main devient plus légère.
Une estime de soi renforcée, de meilleures capacités de concentration, un esprit détendu, des compétences nouvelles : faut-il poursuivre la liste des bienfaits apportés par la calligraphie ? Apprendre la calligraphie, c’est non seulement intégrer une pratique qui fait du bien, mais c’est aussi partir à la découverte de soi. Il s’agit d’une aventure artistique et personnelle, qui peut débuter à tout âge. Alors, n’hésitez plus : lancez-vous !
sources :
1) The Pen Is Mightier Than the Keyboard: Advantages of Longhand Over Laptop Note Taking. Pam A. Mueller and Daniel M. Oppenheimer, Princeton University and University of California, Los Angeles
2) Imagerie par Résonance Magnétique Fonctionnelle
3) Jean-Luc Velay, Maricke Longcamp, « Clavier ou stylo : comment apprendre à écrire ? Donner l’envie d’apprendre », étude de 2012
4) Julien Chazal, « Calligraphie, le guide complet », éditions Eyrolles
5) Entretiens avec Fabien Bastier, artiste calligraphe à Toulon
J’avance doucement sur le chemin ….. j’ai à présent besoin de calme pour écrire et j’apprends la lenteur du geste !